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Sylvie Lindeperg
E mail : sylvie.lindeperg@univ-paris1.fr
Adresse :
Paris1 Panthéon-Sorbonne
Institut national d’histoire de l’art
2 rue Vivienne
75002 Paris

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Les usages cinématographiques du passé

Mon livre Les Écrans de l’ombre soulève la question des usages cinématographiques de la Seconde Guerre mondiale. Postulant une dimension fondamentalement téléologique du cinéma, j’étudie comment l’histoire des années noires fut constamment refigurée par le cinéma en fonction des logiques et des enjeux du temps présent. Depuis la concurrence gaullo-communiste de la Libération jusqu’aux conflits coloniaux, en passant par la Guerre froide, l’ouvrage dévoile les arcanes d’une vaste bataille de mémoire cinématographique.

Cette problématique m’a conduite à élaborer une méthode d’analyse intitulée le « cinéma en action » : sur les pas de Bruno Latour, il s’agit de pénétrer à l’intérieur de la « boîte noire » du cinéma pour remonter en amont dans le processus de fabrication de l’oeuvre et exhumer les différentes couches d’écriture du « film-palimpseste ».

Les Ecrans de l’ombre a été réédité au Seuil en livre de poche dans une version refondue et augmentée.

L’histoire de la presse filmée : construction d’un régime d’historicité

Un second chantier de recherche, ouvert dans Clio de 5 à 7, porte sur les modes de sélection et de mise en scène de l’événement dans un régime d’actualité filmée. Pour analyser le corpus des actualités produites à la Libération (d’août 1944 à janvier 1946), j’ai conjoint l’histoire institutionnelle du groupe de presse des Actualités françaises (fondé par la résistance communiste lors de l’insurrection parisienne et progressivement repris en main par le pouvoir gaulliste) avec une analyse formelle sérielle des différents journaux hebdomadaires produits pendant cette période. Ce va-et-vient entre le visionnage des documents et l’exhumation des traces écrites met au jour les enjeux et les conditions de production d’une événementialité cinématographique et révèle la forte sensibilité des journaux filmés aux inflexions de l’histoire politique.

Depuis la parution de Clio de 5 à 7, mes travaux ont été enrichis et prolongés par la réalisation, en collaboration avec Jean- Pierre Bertin-Maghit et Olivier Wieviorka, des trois coffrets DVD-Rom Images de guerre (Nouveau Monde édition/INA).

La question du récit à l’heure de la numérisation

Les techniques hertziennes de transmission en temps réel puis le développement des techniques et supports numériques ont modifié la nature et la perception de l’événement, posant autant de défis à l’historien contemporanéiste. C’est à la lumière de cet enjeu épistémologique que je réfléchis dans Clio de 5 à 7 au statut de « l’événement médiatique » et tente de penser la question du récit historique à l’ère de la numérisation généralisée. Cette réflexion initiée dans le cadre de la préfiguration du dépôt légal de l’audiovisuel, s’est inscrite sur le double support de la page imprimée et de l’écran informatique (un CD-Rom expérimental, L’histoire, la technique et le temps, réalisé par l’INA). Elle s’est poursuivie dans une double direction pratique et théorique, grâce aux travaux, séminaires et publications du Groupe de recherche sur les objets multimédias (GRIOM), à plusieurs coopérations avec le studio hypermédia de l’INA et l’Institut de Recherche et d’Innovation du Centre Pompidou (autour de Lignes de temps et Regards signés), à la mise en place d’un séminaire sur le numérique à l’université Paris 1 en partenariat avec l’IRI, l’ECPAD, le Forum des Images, le département audiovisuel de la BNF audiovisuel, l’INA.

Usages et migrations des images d’archives : une histoire des regards

Dans Nuit et Brouillard. Un film dans l’histoire, j’analyse la genèse du film d’Alain Resnais puis ses usages et migrations (à travers ses réappropriations, réinterprétations mais aussi traductions, adaptations, remontages aux États-Unis, en Israël et dans les deux Allemagne). Cet exercice de « micro-histoire en mouvement » consiste à observer longuement son objet puis à le déplacer dans l’espace et dans le temps. Dépassant le cadre d’une approche monographique, l’étude de Nuit et Brouillard convoque différentes catégories de la discipline historique (histoire économique, sociale, politique et diplomatique, histoire de la mémoire et des scansions de l’historiographie, histoire de l’art). Je pose également les jalons d’une histoire encore largement en friches : celle des regards, des demandes sociales et symboliques adressées aux images, qui témoignent de l’univers mental d’une époque.

Le premier chapitre de La Voie des images est consacré au commerce qu’entretiennent les industries culturelles avec les images d’archive à travers quelques réalisations particulièrement médiatisées. Ce livre témoigne d’un nouveau déplacement de mes interrogations sur les images de la Seconde Guerre mondiale : la curiosité qui m’anime porte sur l’histoire de leur enregistrement, sur le moment bref et singulier de la prise de vue ; la méthode choisie consiste à porter attention aux détails, aux arrières plans de l’image, aux personnages secondaires, dans le cadre d’une « vision rapprochée du cinéma » inspirée par l’oeuvre de Daniel Arasse. L’ouvrage retrace l’histoire de quatre tournages effectués au printemps et à l’été 1944 dans le maquis du Vercors et dans Paris insurgé, dans les camps de transit de Terezin en Tchécoslovaquie et de Westerbork aux Pays-Bas. Cette remontée vers le point d’origine des images permet d’entrevoir l’univers mental de ceux qui les ont filmées. Les plans que tournèrent les cameramen dans des situations extrêmes dévoilent leur imaginaire de l’événement, leur volonté de le conformer à l’idée qu’ils s’en font, leurs difficultés parfois à en saisir et à en comprendre le déroulé. Ces plans recueillent aussi l’impensé d’une époque, la part inintelligible de l’événement pour ses contemporains. Ils conservent ce qui échappa au regard de l’opérateur dans l’enregistrement mécanique d’une portion de réel. Les plans analysés invitent à engager des questions telles que la place de l’art au coeur de la barbarie, les ambivalences de la «collaboration artistique», la capacité du cinéma à devenir un instrument de libération ou de résistance.

Images et procès

En 2008, j’ai entrepris, en collaboration avec Annette Wieviorka, une recherche approfondie sur le filmage du procès Eichmann, enregistré dans son intégralité, en vidéo, par le cinéaste américain Leo Hurwitz qui usa librement des moyens de la grammaire cinématographique et livra un regard très personnel sur le procès de Jérusalem. Cet enregistrement filmé ne fut donc pas une simple captation mais une mise en scène assumée par Hurwitz qui contribua à accentuer le primat de l’image sur le son, à dramatiser la prestation des témoins, à construire leur confrontation avec l’accusé. Nous avons présenté les premiers résultats de cette recherche lors d’une conférence au Collège de France publiée dans l’ouvrage Univers concentrationnaire et génocide. Voir, savoir, comprendre. Cette étude a également donné lieu à la publication, par les Annales, de l’article « Les deux scènes du procès Eichmann », traduit en plusieurs langues. Dans le prolongement de ces recherches, nous avons organisé le colloque international « Le Procès Eichmann. Réceptions, médiations, postérités ». Le livre qui en est issu, Le Moment Eichmann, est publié chez Albin Michel (janvier 2016).